Chapitre 19

 

 

Pour quelqu’un qui avait tant sermonné Denis sur l’importance de maîtriser ses impulsions, je n’offrais pas un bon exemple. Dès que Dimitri m’eut laissée seule dans la suite, je recommençai immédiatement à tout tenter pour en sortir, même si, en l’occurrence, il fallait surtout mettre l’accent sur le verbe « tenter ».

L’attitude de Nathan laissait supposer qu’ils gardaient rarement des prisonniers, mais cette pièce avait de toute évidence été conçue à cet effet. La porte et la fenêtre ne montrèrent pas le moindre signe de faiblesse malgré la violence avec laquelle je les heurtais ou jetais des objets contre elles. Au lieu du fauteuil, je me servis cette fois de l’un des guéridons du salon en espérant qu’il se révélerait plus efficace. Ce ne fut pas le cas. Après l’échec de cette méthode, je me mis à entrer des codes au hasard dans la serrure électronique, ce qui fut tout aussi vain.

Finalement, gagnée par l’épuisement, je m’effondrai sur le canapé et tentai d’évaluer les solutions qui s’offraient à moi. Je n’en eus pas pour longtemps. J’étais piégée dans une maison pleine de Strigoï. « Pleine » était peut-être un peu exagéré, mais je savais qu’il y en avait au moins trois et c’était déjà trop pour moi. Dimitri avait qualifié cet endroit de « propriété », ce que je ne trouvais guère réconfortant. Une propriété impliquait une grande demeure. Le fait que je me trouve au moins au quatrième étage le confirmait. Autrement dit, il y avait beaucoup de pièces qui pouvaient abriter beaucoup de vampires.

Ma seule consolation était que les Strigoï avaient du mal à coopérer entre eux. Il était rare qu’ils parviennent à constituer d’importants groupes organisés. Je n’avais vu une telle chose se produire qu’à deux reprises, dont l’attaque qu’avait subie l’académie. Les Strigoï s’en étaient pris à Saint-Vladimir parce que ses protections magiques avaient été endommagées. Cela avait représenté une occasion assez inespérée pour qu’ils frappent en groupe. Mais leurs alliances étaient généralement de courte durée, comme le prouvait la tension que j’avais observée entre Dimitri et Nathan.

Dimitri.

Je fermai les yeux. C’était à cause de Dimitri que je me retrouvais là. J’étais venue en Russie pour le libérer de son état de non-mort et j’avais échoué, comme il me l’avait justement fait remarquer. À présent, j’étais peut-être sur le point de devenir semblable à lui. Beau travail, Rose… Je frémis en essayant de m’imaginer en Strigoï, avec des cercles rouges autour des pupilles et ma peau mate devenue blafarde. Je n’arrivais pas à m’y voir, mais je n’aurais jamais à constater le résultat de cette transformation, puisque les Strigoï n’avaient pas de reflet dans les miroirs. Voilà qui allait rendre particulièrement pénible la tâche de me coiffer.

Mais la pire altération serait intérieure. J’allais y perdre mon âme. Dimitri et Nathan s’étaient tous les deux montrés cruels et agressifs. Même si je n’avais pas été l’enjeu de leur affrontement, ils n’auraient pas tardé à trouver une autre raison pour s’en prendre l’un à l’autre. J’étais assez combative moi-même, mais mes actes étaient toujours guidés par un réel souci des autres. Les Strigoï, quant à eux, se battaient pour le seul plaisir de verser le sang. Je n’avais pas envie de devenir comme eux et de rechercher la violence pour elle-même.

Je ne voulais pas non plus croire que c’était le cas de Dimitri, sauf que son comportement était bien celui d’un Strigoï. Je savais aussi de quoi il avait dû se nourrir pour survivre pendant tout ce temps. Les Strigoï pouvaient se passer de sang plus longtemps que les Moroï, mais sa transformation remontait à plus d’un mois. Il était évident qu’il s’était nourri et les Strigoï tuaient presque toujours leurs victimes. Je n’arrivais pas à imaginer Dimitri en train de… En tout cas, pas l’homme que j’avais connu.

Je rouvris les yeux. La question de l’alimentation de Dimitri me rappela l’existence de mon déjeuner. Une pizza et un brownie. Deux des plats les plus parfaits de la planète. La pizza avait dû refroidir pendant que j’essayais de m’échapper, mais elle paraissait toujours aussi délicieuse, de même que le brownie. D’après le peu de lumière qui filtrait du dehors, j’étais prisonnière de Dimitri depuis presque vingt-quatre heures. Cela constituait une longue période de jeûne et j’avais très envie de manger cette pizza, même froide. Je n’avais pas vraiment l’intention de me laisser mourir de faim.

Bien sûr, je n’avais pas non plus celle de devenir une Strigoï, mais cette situation n’avait rien à voir avec ce que j’avais imaginé au départ. Mourir de faim prenait du temps, et je soupçonnais Dimitri de dire vrai : il m’aurait transformée bien avant que j’y parvienne. Je devais donc trouver un autre moyen de mourir, même si c’était bien la dernière chose que je désirais. En attendant, je décidai que je devrais plutôt récupérer mes forces si je voulais avoir la moindre chance de pouvoir m’échapper d’ici. Une fois ma décision prise, j’engloutis mon déjeuner en moins de trois minutes. Je ne savais pas qui les Strigoï avaient embauché comme cuisinier, mais c’était un génie. C’était d’autant plus étonnant qu’en dehors du sang ils ne pouvaient ingérer aucune nourriture, contrairement aux Moroï. Je remarquai au passage qu’on m’avait servi des aliments qui ne nécessitaient pas de couverts. Ils pensaient vraiment à tout.

J’étais en train de mâcher ma dernière bouchée de brownie lorsque la porte s’ouvrit. Inna se glissa furtivement à l’intérieur et referma le battant presque aussitôt.

— Merde !

Ce fut du moins ce que je tentai de m’écrier la bouche pleine. J’aurais dû surveiller la porte au lieu de me demander si j’allais manger ou non. Dimitri m’avait prévenue qu’Inna allait revenir. J’aurais dû l’attendre pour lui tendre un piège. Au lieu de cela, elle avait réussi à entrer en profitant de mon inattention. Je venais de commettre une nouvelle erreur.

Inna évita mon regard comme elle l’avait fait avec Dimitri et Nathan. Elle portait une pile de vêtements qu’elle me tendit. Déconcertée, je les lui pris et les posai à côté de moi sur le canapé.

— Merci.

Elle leva timidement ses yeux marron vers moi et m’interrogea du regard en désignant le plateau vide. Je fus surprise par sa beauté. Elle devait sans doute être plus jeune que moi et je ne pus m’empêcher de me demander comment elle s’était retrouvée forcée de travailler ici. J’acquiesçai en réponse à sa question muette.

— Oui, merci.

Elle ramassa le plateau et resta plantée là. Il me fallut un certain temps pour comprendre qu’elle attendait de savoir si je voulais autre chose. J’étais à peu près certaine que « le code de la porte » ne faisait pas partie de son vocabulaire. Je haussai les épaules, puis lui fis signe qu’elle pouvait s’en aller, et la regardai se diriger vers la porte. Tu devrais attendre quelle ait ouvert la porte et te jeter sur elle, songeai-je. Aussitôt, une réaction instinctive, comme un léger malaise, me fit hésiter à frapper une innocente. Une autre pensée triompha de celle-là : C’est elle ou moi. Je me raidis.

Inna se colla contre la porte pour entrer le code et m’empêcha de voir quoi que ce soit. À en juger par le temps que cela lui prit, la combinaison devait être longue. La porte s’ouvrit enfin et je m’apprêtai à bondir… pour me raviser au dernier moment. D’après les éléments dont je disposais, il pouvait très bien y avoir une armée de Strigoï dans la maison. C’était un coup que je ne pourrais sans doute tenter qu’une seule fois ; mieux valait mettre toutes les chances de mon côté. Au lieu de bondir sur elle, je me contentai donc de me pencher légèrement pour voir ce qui se trouvait de l’autre côté de la porte. Elle sortit aussi rapidement qu’elle était entrée, mais j’aperçus brièvement un couloir fermé par une autre porte métallique.

Intéressant. Ma prison avait une double porte. Il ne m’était donc pas possible de m’échapper immédiatement en la suivant.

Je me retrouverais piégée entre les deux portes et il suffirait à Inna d’attendre des renforts. Cela compliquait les choses, mais le fait de comprendre le piège dans lequel j’étais tombée me redonna au moins un peu d’espoir. Il ne me restait plus qu’à trouver quoi faire de cette information – à condition de ne pas avoir gâché ma seule chance de fuite en renonçant à agir immédiatement. D’après ce qu’il m’avait annoncé, Dimitri n’allait plus tarder à revenir pour me transformer en Strigoï.

Je soupirai. Dimitri, Dimitri, Dimitri…

Je baissai les yeux pour regarder de plus près ce qu’Inna m’avait apporté. Mon jean et mon tee-shirt me convenaient parfaitement, mais je n’allais pas pouvoir les porter éternellement si je restais coincée là.

Quelqu’un voulait jouer à m’habiller, comme l’avait fait Tamara.

La pile ne comportait que des robes, toutes à ma taille. Une robe fourreau en soie rouge. Une robe en laine moulante et à manches longues bordée de satin. Une robe longue en mousseline de style Empire…

— Génial ! Je suis une poupée.

En inspectant la pile, je découvris aussi quelques chemises de nuit et des sous-vêtements, tous en satin ou en soie. Ce qu’il y avait de moins habillé dans le lot était une robe verte, à ceci près qu’elle était faite du plus délicat des cachemires. Je la dépliai et tentai d’imaginer mon évasion dans cette tenue. Non. Je la jetai négligemment sur le sol avec les autres. J’allais porter des vêtements sales pendant un certain temps.

Après cela, je fis les cent pas en ressassant d’absurdes plans d’évasion que j’avais déjà rejetés d’innombrables fois. Le fait de marcher me fit prendre conscience de ma fatigue. En dehors du temps où j’étais restée inconsciente, après avoir été assommée par Dimitri, je n’avais pas dormi depuis vingt-quatre heures. Ce problème était assez semblable à celui que m’avait posé le déjeuner. Devais-je ou non baisser ma garde ? J’avais besoin de forces pour m’échapper, mais chacune de mes concessions me faisait courir davantage de risques.

Je finis par céder. En m’allongeant sur le lit immense, je fus frappée par une idée soudaine. Je n’étais pas totalement sans recours. Je pouvais encore informer Adrian de ce qui m’arrivait s’il me rendait visite dans mon sommeil. Je lui avais demandé de ne plus revenir, bien sûr, mais il ne m’avait jamais écoutée jusqu’à présent. Pourquoi en aurait-il été autrement cette fois-ci ? Je me concentrai sur lui en attendant le sommeil comme si mes pensées pouvaient servir de signal d’alarme et l’appeler à moi.

Cela ne fonctionna pas. Je ne reçus aucune visite nocturne et fus surprise d’en être si peinée à mon réveil. Je ne pus m’empêcher de repenser à la dernière fois où je l’avais vu. Malgré l’intérêt qu’Adrian portait à Avery, il s’était montré gentil envers Jill. Il s’était aussi inquiété pour Lissa et ne s’était pas livré à ses pitreries ordinaires. Il avait été sérieux et… charmant. Ma gorge se serra. Même si je n’étais pas amoureuse de lui, cela n’excusait pas la manière dont je l’avais traité. J’avais perdu à la fois son amitié et ma seule chance d’appeler à l’aide.

Un léger froissement de papier me tira de mes réflexions et me fit me redresser d’un bond. Quelqu’un était assis sur le canapé, dos à moi. Il ne me fallut qu’un instant pour reconnaître Dimitri.

— Qu’est-ce que tu fais là ? lui demandai-je en quittant le lit.

J’étais si affaiblie que je n’avais même pas prêté attention à ma nausée.

— J’attendais que tu te réveilles, répondit-il sans prendre la peine de tourner la tête vers moi.

Il était absolument certain que je ne pouvais pas lui faire de mal…, ce en quoi il avait raison.

— Ça n’a pas l’air palpitant.

Je traversai le salon en passant le plus loin possible du canapé et allai m’appuyer contre le mur. Je croisai les bras sur ma poitrine, trouvant un certain réconfort à adopter cette attitude de protection, si dérisoire soit-elle.

— Je ne m’ennuyais pas. J’avais de la compagnie.

Il tourna la tête vers moi et me montra le livre qu’il lisait. C’était un roman de western. Cela me surprit presque autant que son changement d’apparence. C’était si… normal. Il adorait les romans de western lorsqu’il était un dhampir et je l’avais souvent accusé de se rêver en cow-boy, pour plaisanter. Sans savoir pourquoi, je m’étais imaginé que ce passe-temps aurait disparu avec sa transformation. Un espoir irrationnel me fit examiner attentivement son visage, comme si j’allais y découvrir un changement radical. Peut-être était-il redevenu celui que j’avais connu, pendant que je dormais. Peut-être le dernier mois et demi n’avait-il été qu’un rêve…

Non. L’homme qui soutint mon regard avait des yeux rouges et une expression dure. Mon espoir s’évanouit.

— Tu as dormi longtemps, ajouta-t-il.

Je risquai un bref coup d’œil vers la fenêtre. Elle était tout à fait noire à présent. Il faisait nuit. Merde ! Je ne voulais dormir qu’une heure ou deux pour récupérer.

— Et tu as mangé.

L’amusement que je perçus dans sa voix m’agaça.

— Et alors ? Je ne sais pas résister aux pepperoni. Que veux-tu ? Il plaça un marque-page dans son livre et le posa sur la table. – Te voir.

— Vraiment ? Je croyais que la seule chose qui t’intéressait était de me transformer en Strigoï.

Il ne répondit rien et j’en éprouvai une certaine frustration. Je détestais qu’on traite par l’indifférence ce que je disais. À la place, il m’invita à m’asseoir.

— Tu n’en as pas marre d’être debout ?

— Je viens juste de me lever. Et si je peux consacrer une heure à jeter les meubles contre la fenêtre, rester debout ne me tuera pas.

Je ne savais pas pourquoi je lui décochais mes traits d’esprit habituels. Dans cette situation, j’aurais mieux fait de l’ignorer. J’aurais dû me taire au lieu d’entrer dans son jeu. J’espérais peut-être, en réagissant ainsi, que les plaisanteries auxquelles je l’avais accoutumé réveilleraient quelque chose de l’ancien Dimitri. Je réprimai un soupir. Voilà que j’oubliais encore ses enseignements. Les Strigoï n’étaient pas les gens que nous avions connus.

— T’asseoir ne te tuera pas non plus, répliqua-t-il. Je te l’ai déjà dit : je ne vais pas te faire de mal.

— « Faire du mal » est une notion subjective, tu sais. (Décidant subitement de paraître courageuse, j’allai m’asseoir dans le fauteuil qui lui faisait face.) Satisfait ?

Il inclina la tête sur le côté et quelques mèches brunes s’échappèrent de sa queue-de-cheval.

— Tu es toujours belle, même au réveil et après t’être battue… (Ses yeux tombèrent sur les robes que j’avais jetées par terre.) Tu n’en aimes aucune ?

— Je ne suis pas là pour jouer à me déguiser. Ce n’est pas avec des robes de grands couturiers que tu arriveras à me convaincre de rejoindre le club des Strigoï.

Il me considéra longuement de son regard perçant.

— Pourquoi n’as-tu pas confiance en moi ? Je le dévisageai à mon tour avec incrédulité.

— Comment peux-tu me demander ça ? Tu m’as enlevée. Tu tues des innocents pour survivre. Tu n’es plus le même.

— Je te l’ai dit : je suis meilleur que celui que tu as connu. Quant aux innocents… (Il haussa les épaules.) Personne n’est jamais vraiment innocent. Et puis le monde est fait de proies et de prédateurs. Les plus forts l’emportent sur les plus faibles. C’est la loi de la nature. Tu t’intéressais à ce genre de choses, si je me souviens bien.

Je détournai les yeux. À l’académie, ma matière théorique préférée était la biologie. J’adorais lire des livres sur le comportement des animaux et la survie du plus apte. Je voyais alors Dimitri comme mon mâle alpha, le plus fort de tous les concurrents.

— C’est différent.

— Mais pas de la manière que tu crois. Pourquoi l’idée qu’on puisse boire du sang te scandalise-t-elle tant ? Tu as vu des Moroï le faire. Tu as laissé une Moroï boire le tien.

Je tressaillis. Je ne tenais pas à me souvenir de la période où j’avais laissé Lissa boire mon sang, lorsque nous vivions parmi les humains, et je ne voulais surtout pas penser à l’effet des endorphines transmises par la morsure, dont j’avais failli devenir dépendante. – Ils ne tuent pas.

— Ils ratent quelque chose. C’est incroyable…, murmura-t-il. (Il ferma les yeux quelques instants, puis les rouvrit.) Boire le sang de quelqu’un… voir sa vie l’abandonner pour s’insinuer en nous… il n’y a rien de plus enivrant.

L’entendre parler de ses meurtres augmenta ma nausée. – C’est malsain et criminel.

Alors les choses se passèrent si vite que je n’eus pas le temps de réagir. Dimitri bondit sur ses pieds, m’attira à lui et m’allongea sur le canapé. Tout en me tenant dans ses bras, il s’allongea à moitié sur moi. J’étais trop abasourdie pour faire un geste.

— C’est faux. C’est sur ce point que tu dois me faire confiance. Tu vas adorer… Je veux être avec toi, Rose. Je le veux vraiment. Nous n’avons plus à obéir à des règles que d’autres nous imposent. Nous pouvons être ensemble, les plus forts parmi les plus forts, et avoir tout ce que nous voulons. Nous pouvons devenir aussi forts que Galina et diriger un domaine comme celui-ci.

Si la peau nue de ses mains et de son visage était froide, le reste de son corps pressé contre le mien dégageait de la chaleur. Le rouge de ses yeux luisait presque, vu de si près, et ses canines apparaissaient dès qu’il parlait. J’avais l’habitude de voir celles des Moroï, mais sur lui… c’était écœurant. Je jouai un instant avec l’idée d’essayer de lui échapper mais l’abandonnai aussitôt. Si Dimitri voulait que je sois allongée, j’allais le rester.

— Je ne veux rien de tout ça, répondis-je.

— Ne veux-tu pas de moi ? insista-t-il avec un sourire mauvais. C’était pourtant le cas, autrefois.

— Non, lui assurai-je en ayant conscience de mentir.

— Que veux-tu, alors ? Retourner à l’académie ? te mettre au service de Moroï qui te feront risquer ta vie sans le moindre scrupule ? Si c’était le genre d’existence que tu voulais, pourquoi es-tu venue ici ?

— Pour te libérer.

— Je suis libre. Et si tu avais vraiment voulu me tuer, tu l’aurais fait. (Il se déplaça légèrement pour approcher son visage de ma gorge.) Tu n’as pas pu.

— J’ai commis une erreur. Ça ne se reproduira pas.

— Admettons que ce soit vrai. Admettons que tu sois capable de me tuer, et même de t’échapper. Que feras-tu alors ? Retourneras-tu auprès de Lissa et la laisseras-tu continuer de déverser en toi la noirceur de l’esprit ?

— Je ne sais pas, répondis-je sèchement.

C’était la vérité. Mon seul projet avait été de le retrouver.

— Ça finira par te détruire, tu le sais. Tant qu’elle continuera de se servir de ses pouvoirs, tu en subiras les effets négatifs, si loin d’elle sois-tu. Du moins, tant qu’elle vivra…

Je me raidis dans ses bras et détournai la tête.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? As-tu l’intention de te joindre à Nathan pour la chasser ?

— Je me moque de ce qui peut lui arriver. C’est toi qui m’intéresses. Si je t’éveillais, Lissa ne pourrait plus te faire de mal. Tu serais libérée de votre lien.

— Et qu’adviendrait-il d’elle ? Elle se retrouverait toute seule. – Je te le répète : je m’en moque. Je veux seulement être avec toi.

— Eh bien, pas moi.

Il tourna mon visage vers lui pour me forcer à le regarder. De nouveau, j’eus l’étrange impression d’être à la fois avec lui et avec un autre. Je l’aimais et le craignais en même temps.

Il plissa les yeux.

— Je ne te crois pas.

— Crois ce qui te fait plaisir. Je ne veux plus de toi.

L’un de ses terrifiants sourires, plein de suffisance, se dessina sur ses lèvres.

— Tu mens. Je le vois bien. J’ai toujours su le voir.

— C’est la vérité. Je voulais être avec toi avant, mais ce n’est plus le cas.

Si je continuais à le répéter, j’allais peut-être finir par y croire.

Je me figeai lorsqu’il s’approcha encore un peu plus de moi. Si je bougeais d’un millimètre, nos lèvres se toucheraient.

— Mon apparence est différente… Mes pouvoirs sont plus grands… Pour le reste, je suis toujours le même, Roza. Mon essence n’a pas changé, pas plus que le lien qui nous unit. Simplement, tu ne peux pas encore le comprendre, c’est tout.

— Tout a changé.

Avec ses lèvres si près des miennes, je n’arrivais plus à penser qu’au baiser soudain et ardent qu’il m’avait donné la dernière fois. Non… sors-toi ça de la tête…

— Si je suis si différent, pourquoi est-ce que je ne t’éveille pas de force ? Pourquoi est-ce que je te laisse le choix ?

Une réplique acerbe me vint à l’esprit, mais elle mourut sur mes lèvres. C’était une excellente question. Pourquoi me laissait-il le choix ? Ce n’était pas dans les habitudes des Strigoï. Ils tuaient sans pitié et prenaient ce qu’ils voulaient. Si Dimitri avait vraiment désiré que je devienne comme lui, il aurait dû me transformer immédiatement. Il s’était écoulé plus de vingt-quatre heures depuis ma capture et il n’avait fait que me noyer dans le luxe. Pourquoi ? En tant que Strigoï, je n’aurais pas manqué de partager toutes ses idées tordues. Cela lui aurait rendu les choses beaucoup plus simples.

Mon silence l’incita à poursuivre.

— Si je suis si différent, pourquoi m’as-tu rendu mon baiser, tout à l’heure ?

Je ne trouvai toujours rien à répondre. Son sourire s’épanouit.

— Tu as perdu ta langue ? Tu sais que j’ai raison.

Ses lèvres trouvèrent encore les miennes. J’émis une faible protestation et tentai vainement d’échapper à son étreinte. Mais il était beaucoup trop fort, et je cessai bientôt de vouloir lui échapper. Mon impression fut la même que la première fois. Ses lèvres étaient froides et son baiser était ardent. Un mélange de feu et de glace. Et il ne s’était pas trompé : je lui rendis son baiser.

La part rationnelle de mon esprit me répétait désespérément que c’était mal. La fois précédente, il avait mis fin au baiser avant que les choses aillent plus loin entre nous. Ce ne fut pas le cas. Comme notre baiser se prolongeait, la petite voix de ma raison fut de moins en moins audible. Ma part émotionnelle, celle qui aimerait éternellement Dimitri, triompha, et se délecta de la pression de son corps contre le mien et de la manière dont une de ses mains caressait mes cheveux en laissant ses doigts s’entortiller dedans. Son autre main glissa dans mon dos. Elle était froide contre ma peau brûlante. Je me serrai un peu plus contre lui et sentis l’intensité de son baiser s’accroître en même temps que son désir.

Alors ma langue effleura soudain la pointe d’une de ses canines. Ce fut comme si j’avais reçu un seau d’eau froide. Je rassemblai toutes les forces qui me restaient pour détourner la tête et m’arracher à ce baiser. Il avait dû baisser sa garde pour que je parvienne à lui échapper, même si peu.

J’avais le souffle court et mon corps brûlait encore de désir pour lui. Mais la raison avait repris le pouvoir – provisoirement, du moins. Qu’avais-je fait ? Ce n’est pas le Dimitri que tu as connu. Ce n’est pas lui. Je venais d’embrasser un monstre. Sauf que mon corps n’en était pas si sûr.

— Non, murmurai-je, surprise de m’entendre parler d’une voix si pathétique et si implorante. Nous ne pouvons pas faire ça…

— En es-tu sûre ? (Il avait toujours une main dans mes cheveux et me força encore à tourner la tête pour soutenir son regard.) Ça n’avait pas l’air de te gêner… Tout pourrait redevenir comme avant… comme dans la cabane… Tu en avais envie, alors…

La cabane…

— Non, répétai-je. Je n’en ai plus envie.

Il pressa ses lèvres contre ma joue, puis déposa une série de baisers étonnamment délicats le long de ma gorge. Je sentis mon désir s’éveiller de nouveau et maudis ma faiblesse.

— Et ça ? murmura-t-il. En as-tu envie ?

— Qu… ?

Alors je le sentis. Les pointes acérées de ses canines transpercèrent la peau de mon cou. Pendant un instant, la douleur fut intolérable.

Puis elle disparut aussi vite qu’elle était venue. L’euphorie m’envahit. C’était si bon… Je ne m’étais jamais sentie si bien de toute ma vie. Cela me rappela vaguement ce que je ressentais lorsque Lissa buvait mon sang. J’avais adoré mais… c’était dix fois mieux. Cent fois mieux. La salive des Strigoï était infiniment plus puissante que celle des Moroï. C’était comme tomber amoureuse pour la première fois et s’abandonner sans réserve à cette joie incomparable.

Lorsqu’il s’écarta de moi, j’eus l’impression que tout le bonheur et toute la magie du monde avaient disparu. Les yeux écarquillés, je le regardai s’essuyer la bouche. Ma première impulsion fut de lui demander pourquoi il s’était arrêté, mais, lentement, je parvins à m’arracher au merveilleux engourdissement dans lequel sa morsure m’avait plongée.

— Pourquoi… ? Qu’est-ce que… ? (J’avais la voix un peu pâteuse.) Tu avais dit que tu me laisserais le choix… – Je n’ai pas changé d’avis.

Lui aussi avait les yeux écarquillés et le souffle court. Il était aussi troublé que moi.

— Je ne fais pas ça pour t’éveiller, Roza. Une morsure comme celle-ci ne te transformera pas. Je l’ai fait… pour le plaisir.

Il se pencha vers ma gorge pour recommencer à boire et je perdis toute conscience du monde.

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